mercredi 3 novembre 2010

La Vision


par : patrickFERRON

Le temps ne prend jamais de pause pour geler ses aiguilles, on oublie souvent de s’arrêter et voir ce qui nous entoure. Prenez cette opportunité et sautez dans la profonde vision d’un homme, d’une femme et d’un jeune adulte qui eux ont pris le temps de se chercher et se retrouver.

Le Plateau Mont-Royal

Encore une fois couché sur les planches froides d’un banc de parc du Square St-Louis, j’imite à la perfection le fœtus que je fus jadis. Il y a de cela très longtemps. La lumière du réverbère pleure ses rayons jaunâtres et m’éclaire ainsi pour me rendre encore plus invisible que je le suis déjà aux yeux des autres. Les papiers du quotidien de la semaine dernière tentent de me réchauffer par cette nuit froide du mois d’octobre. Rien ne fonctionne malheureusement.

L’aube arrive et je me conditionne enfin à retourner au travail tout en me réchauffant grâce aux rayons du soleil. Une semaine a déjà passée avant que ma bouche ne touche le moindre aliment ne venant pas des poubelles ou par terre. Je comprends. Les gens osent à peine me regarder tellement je puisse être répugnant. Si j’étais eux, je ne me regarderais pas non plus. J’ai déjà peine à me sentir moi-même. Il est huit heures le matin et le soleil est finalement à sa pleine circonférence et snobe de son altitude la ville que j’ose habiter.

Je finis par tendre cette main qui m’appartient, mais que je ne reconnais pas. Elle est ridée et sale. Les veines gonflées l’ont envahie et elle ne peut s’en échapper. Mes jointures craquent au moindre mouvement et c’est sans parler de mes ongles, noircis et bosselés. Elle est vieille, faible et tremble à la moindre bourrasque de vent. Je suis incapable de garder mon dos droit et avoir l’air présentable comme avant. Les gens me dévisagent. Bien que je sois habitué, cela me fait toujours aussi mal. Ce pincement au cœur est une coupure vive et douloureuse de ma peau jusqu’à mon cœur tranché à l’aide d’un ciseau à bout rond.

Je déteste les matins. Les gens sortent de leurs trous par centaine. L’un derrière l’autre, on dirait que chacun d’eux possède des œillères pour éviter de se faire distraire. Ils ne connaissent qu’eux et ne veulent pas prendre conscience de leur entourage. Des écouteurs sur les oreilles sont l’armure par excellence aux bruits. Tout cet attirail technologique n’est rien qu’une coquille encore plus difficile à percer. Tel un cancer qui s’empare d’un poumon ils envahissent les trottoirs et se bousculent les uns sur les autres sans se parler. Le Cro-Magnon urbain part à la chasse pour le plus haut bureau de la plus haute tour. L’après-midi venue, je n’ai toujours pas réussi à toucher la moindre parcelle d’une piastre de bronze. Je suis dos contre un mur, ma main pointe toujours devant et espère recueillir la moindre monnaie que ce soit.

Du zénith, je sais qu’on me dévisage. Montréal me déteste et c’est réciproque. Elle m’a rendu ainsi. Sous cette grisaille de cheveux hirsutes, il y a un homme qui est bon et qui vaut quelque chose. Personne ne veut croire en moi. Je ne me permets pas de rêver, puisque je sais très bien que ce soir je retournerai sur le banc du Square St-Louis lorsque le soleil se cachera pour disparaître derrière le Mont-Royal. Ma femme me manque. Je posais toujours mon nez contre son cou et elle détestait ça. J’adorais sentir son doux parfum. Elle sentait toujours bon, loin de moi maintenant. Elle aurait honte de ce que je suis devenu. La peine m’a envahit et m’a détruit. C’est à l’hôpital Général que je l’ai vu pour la dernière fois. Montréal m’a coincé sur son île. Je vois cette ville comme la mort, froide et déchirante.

Le Centre-ville
Cinq heures trente se font entendre déjà et aucune trace de récupération ne se fait sentir dans l’ensemble de mon corps. Je me rends directement devant mon miroir pour constater que j’ai toujours cette putain de gueule qui ne veut pas sourire. Quelques tasses de café ont dû être prises pour me donner un air un peu moins morte. Fidèle à moi-même, j’ai eu beau me lever deux heures trente avant mon heure de travail que je suis tout de même en retard. J’emmêle ma longue chevelure blonde en une toque et insère mes pieds fins dans mes ballerines. Je descends les escaliers si rapidement qu’on croirait un tremblement de terre dans le couloir. L’extérieur m’accueille de son ciel gris et nuageux. Cette journée d’octobre m’emmerde au plus haut point. Je me bouscule contre les autres telle une balle de ping-pong entre deux palettes. Les autres paraissent aussi pressés que je le suis, mais je tente de les dépasser tout de même.

Je vis dans une montre où le temps ne fait qu’avancer de plus en plus vite. La rue St-Denis fourmille de personnes ce matin et aucune d’entres elles ne brille d’un sourire. Je les comprends! Mes écouteurs sont enfoncés le plus profond possible dans mes tympans et je mets la musique le plus fort possible. Je saigne pratiquement des oreilles, mais je m’en fous, je peux enfin respirer.

Me voilà maintenant dans le gouffre et j’attends en rang comme tout le monde devant un trou dans lequel j’ai parfois le goût de me jeter. Ça retarderait trop de gens…j’attendrai un autre jour. Le métro arrive enfin et comme d’habitude je suis coincée corps à corps contre de parfaits inconnus. Comme des zombies assoiffés de chair, nous sommes tous debout, le regard pointant le vide. Le mien fixe la glace où le décor change aux secondes.

Coincée sous terre avec des bourreaux en cravates ou des tortionnaires en tailleur je doute qu’un jour je m’en sortirai. Je finis par sortir de cette fosse humide pour me retrouver le nez dehors. Le soleil a finalement décidé de se montrer et peindre le cœur de cette ville pour la rendre moins grise et plus accueillante. Quant à moi, rien ne fonctionne et c’est toujours aussi froid. Je n’ai pas le moral ce matin, comme de nombreux matins déjà. Je me trouve ridicule de continuer à jouer ainsi avec mon temps, mais je dois payer mon loyer et me permettre de manger convenablement. Je ne vis que pour le matériel, je possède plus de chiffon qu’une boutique à elle seule ne peut en posséder. C’est la même chose pour les bijoux et les chaussures. Je ne porte pas les trois quarts de mes achats, mais le fait de les posséder me rend joyeuse.

Je vis la nuit et le jour en même temps. Montréal ne dort jamais et je suis comme ça. J’aime mieux être malheureuse en ayant la gueule de bois le jour et vivre la nuit pour ensuite mourir le matin venu. Je suis la poupée russe aux mille facettes cachées sous une couverture de maquillage qui me donne un teint de pêche. C’est la ville qui va m’achever et personne d’autre.

Le Village
J’ai vécu longtemps dans mon propre silence et dans mes pensées. J’ai bientôt dix-neuf ans et je n’ai encore rien connu et rien vu. Je n’ai encore rien ressenti dans mes tripes. Je me considérais comme un garçon heureux, jusqu'à ce que je prenne une claque en pleine gueule. Pardon, que je prenne un poing en pleine gueule. Ce poing, c’est mon père qui me l’a balancé.

J’ai toujours eu les meilleurs modèles pour ce qui a trait à mes parents. Ma mère est une femme respectée et respectable de cinquante printemps, qui adore le tricot et les romans-savons de fin de soirée. Mon père est un homme qui désire le mieux pour sa famille. Il est soucieux des petits détails et demande la perfection. Il me voit grand, fort et capable de contrôler le monde. Je me voyais ainsi… juste avant d’en prendre plein la gueule. C’est à ce moment-là que j’ai douté de moi-même.

Aux cris agressant de mon père, j’ai décidé de partir. La joue enflée et l’œil gauche à demi fermé je me suis exilé. J’ai descendu Westmount complètement vidé de mon âme. Je me sens comme un itinérant qui n’a plus d’endroit où aller. Il vient de tuer d’un vif poing le seul enfant qu’il n’aura jamais. Je prends une bouffée d’air de cette nuit fraiche et regarde le ciel, aucune étoile ne se fait voir, seulement des bouts d’édifices et un morceau de lune qui a été croqué comme un biscuit.

Le centre-ville m’accueille enfin, moi et ma douleur. Le bar dans lequel je suis tombé regorge de gens, heureux et sans inhibitions. Je les regarde et certains d’entre eux portent des masques enchaînés autour de leurs crânes pour éviter qu’ils ne tombent. Mon propre masque vient de tomber ce soir, il était laid et répugnant. Cette blessure physique que j’ai au visage va s’estomper rapidement tandis que le masque qui cachait ma peau claire lui ne changera jamais et montrera toujours le même grand sourire niais.

Un homme me regarde et ses yeux me fixent transperçant mon iris jusqu’à mon cervelet, il comprend la peine et la joie que mon corps dégage. Il reste immobile et n’ose pas venir me parler et c’est mieux ainsi puisque la moindre action de devoir ouvrir ma bouche pour y laisser s’échapper un son ne me ravit pas du tout. Ce soir, je resterai muet. Je suis colocataire d’une ville qui me permet d’être libre et moi-même. Montréal est un grand livre où les histoires se mêlent et se créent. Je suis l’unique pièce d’un casse-tête urbain où les millions de morceaux se collent et s’emboîtent. Des hommes errent dans les rues, d’autres ne vivent que pour l’argent et détestent leur vie. Tous ces obstacles ne m’atteindront pas. Je désire être le seul commandant de ma vie et je mérite d’être heureux.





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